mercredi 25 mai 2011

Dans la chambre, à l'étage, chez mes parents. La fenêtre est ouverte. L'air entre, chaud, on est déjà fin mai. Je suis assise en tailleur sur mon lit, il est assis à mon bureau, devant mon ordinateur, il vérifie sa boîte mail. Je lui parle et je lui pose une question.

"Je ne sais pas, Madeleine, je ne fais pas attention à tes délires."

Mes délires ! Cette expression a quelque chose de hautain et de méprisant. Mes mots n'ont pas de valeur, je babille sans conséquence. Je sais qu'il m'a entendue, pourtant. Mais mes paroles ne lui plaisent pas, il les repousse de la mains, et elles s'envolent par la fenêtre ouverte.

Je sais pourquoi il m'a choisie. Parce que j'avais de bonnes notes et un air raisonnable. Parce que mes parents étaient juristes, parce que mes joues roses et mes longues tresses rousses lui semblaient meilleur genre que les grosses lèvres maquillées et les cheveux jaune sale de sa précédente copine, parce qu'il pensait que je n'avais pas d'imagination et que je saurais me taire aux repas de famille. Parce qu'avec moi, il entrevoyait un avenir satisfaisant : un mariage dans une dizaine d'années, une fois nos études terminées, deux enfants -un garçon et une fille, roux, roses et sages, comme moi-, des métiers upper middle class : ingénieur pour lui, prof de lettres pour moi.

Que j'émette la possibilité de devenir fleuriste, pâtissière ou gérante de salon de thé, cela le fait rire. Mon dossier de candidature pour l'hypokhâgne locale, ça c'est du concret ! Passe ton bac, fais des études et pour l'épanouissement personnel, on verra plus tard. Quand tu seras petite vieille, voilà, là, tu pourras faire tes gâteaux et arroser tes fleurs. Ma pauvre enfant, le monde des jeunes, c'est dur, c'est impitoyable, ce n'est pas fait pour rêver !

Mes délires ! Ah, je lui parais moins délirante, quand je suis nue au dessus de lui, quand j'ondule, quand je pousse des soupirs de chatte. Pourtant n'est-ce pas délirant, de voir cette jeune fille de bonne famille, cette future mère de famille respectable, cette prof sévère mais juste, sans chemisier ni soutien-gorge, les seins à l'air, les cheveux défaits ? N'est-ce pas une offense au bon sens ? Mais non enfin, je lui appartiens et mes gémissements de bacchante sont légitimes quand ils servent ses plaisirs.

Je suis délirante quand cela l'arrange. Il aime me faire l'amour : je sens sûrement meilleur que sa blonde vulgaire qui s'apergeait d'Eau Jeune pour couvrir les relents de ses aisselles. Mais il n'aime pas m'écouter. La blonde avait 8 de moyenne, elle était vulgaire et elle sentait des aisselles, mais elle était très bourgeoise dans sa tête. Un point partout. Match nul.