vendredi 21 octobre 2011

J'aime parler. C'est pour cela que j'écris ici. J'aime énormément parler, et je n'arrive pas à le faire en face des gens que je fréquente. J'ai une petite voix, je bafouille souvent, j'ai du mal à m'imposer, je ne me sens jamais légitime. Mais dans l'absolu, j'aime parler.

D'autre part, j'aime être entendue. Mais je n'ai jamais eu un grand nombre d'amis et j'en ai particulièrement peu depuis que j'ai quitté le lycée. Cela est sans doute lié à ma petite voix, à mes bafouillages, à ma difficulté à m'imposer et à mon impression d'illégitimité. Ce qui sort directement de ma bouche n'intéresse pas ceux qui m'entourent. C'est la raison de ce journal public.

Est-il indécent ? Sans doute. Cela doit être une forme de folie que de jeter ses tripes en pâture au plus grand nombre. Ou une forme de bêtise. On pense que parce que je ne dis rien, parce que je reste dans mon coin pour travailler et parce que je suis félicitée par mes professeurs, je suis intelligente. C'est facile de paraître intelligente en se taisant. Dès que l'on ouvre la bouche, on prend le risque de se tromper, d'être incohérente, de sembler désagréable, d'être taxée de ci ou de ça. Je ne prends pas ce risque dans la vie, mais je le prends ici, au vu et au su du premier venu.

Que se passerait-il si ces personnes à qui je ne parle pas, à qui je ne dis rien, arrivaient ici ? Si dans le peuple chaleureux de mes lecteurs anonymes s'introduisait quelqu'un qui connaisse le petit être pâle que je suis dans la réalité ? Que se passerait-il si Aurélien découvrait ce que je pense réellement de lui ? Que se passerait-il si mes parents apprenaient le peu de gratitude que j'éprouve pour eux ? Que se passerait-il si Agathe se reconnaissait dans le portrait acide que je dresse d'elle ?

Est-ce que mon monde exploserait ? Serait-ce alors une si grande perte ? Je ne suis pas prête à cesser complètement de parler pour le préserver. C'est de la bêtise ou de l'inconscience, mais je prends le risque.

jeudi 13 octobre 2011

Je ne suis pas une midinette. Je n'ai jamais rêvé au prince charmant. Je dois même avouer que jusqu'à ce qu'Aurélien me fasse comprendre qu'elle l'était pour lui, la fidélité ne me semblait pas fondamentale dans un couple. J'ai toujours eu une attirance mêlée de fascination pour le libertinage, qui me paraissait une activité follement intellectuelle. Au début de notre relation, j'ai regretté un peu le rigorisme de mon petit ami sur ce point, mais je me suis finalement faite à l'idée que ce n'était pas pour moi.

Cependant, plus jeune, je n'aurais pas imaginé renoncer un jour aux suaves sirènes d'un amour passion. Je me suis toujours imaginée passer mon temps blottie contre mon petit ami, l'embrasser à pleine bouche à longueur de journée, sentir mon cœur s'emballer et mon estomac se nouer au moindre frôlement de ses doigts sur mon corps, passer mes nuits à faire l'amour et atteindre le septième ciel à chaque étreinte. Et j'ai découvert la réalité.

L'amour, c'est un comportement épisodique. Un bisou sur la joue le matin, un baiser sur les lèvres au moment de partir travailler, un câlin avant de se coucher, un rapide assaut dans la semaine. Quand le rituel est respecté, il n'y a pas de frustration : chacun se pense aimé par l'autre et chacun a le sentiment du devoir accompli. Il n'y a que lorsque les règles sont bafouées que l'on ressent cette sorte de tristesse agrémentée de colère sourde qu'on appelle le manque. Lorsque l'un tarde à rentrer le soir ou va dormir chez un copain, lorsque l'autre est pressé, énervé, fatigué et qu'il néglige ses obligations conjugales. Il existe un pacte implicite qui pose de manière définitive le nombre d'heures que nous devons passer ensemble. Un temps médian destiné à satisfaire tout le monde dans des conditions dites normales, calculé en fonction de la fluctuation de nos humeurs. Dans la réalité, il est impossible de passer la journée dans les bras l'un de l'autre. Dans la réalité, tout amant a besoin de préserver une part de son intimité.

Je n'aime pas la réalité. Sans doute parce que je ne me sens pas vraiment réelle moi-même. Dans la réalité, les filles de mon âge ont des cheveux châtains très lisses, des habits à la mode, des cache-cœurs noirs sur des sous-pulls flashy parce que cette année c'est colorblock, des amis à la pelle sur facebook. Dans la réalité, les filles de mon âge vont en boîte tous les week-ends, draguent les garçons de mon âge et boivent juste assez de téquila pour ne plus s'en rappeler le lendemain. Parce que je suis rousse, bouclée, rétro, solitaire et casanière, j'ai l'impression d'être un des personnages des romans que je lis, de pouvoir échapper à la réalité. Je n'aime pas quand elle me rattrape.