samedi 23 juin 2012

Jeudi, c'était la fête de la musique. Je me souviens avoir déjà écrit sur ce sujet il y a un an. Je précisais alors que c'était le solstice d'été. Il me semble que, depuis, mes préoccupations ont bien changé !

A notre âge, on change énormément en un an. Surtout quand on quitte sa famille, quand on loue son propre appartement, quand on s'installe en couple, quand on sort des filières générales d'enseignement pour faire d'un domaine sa spécialité. Il y a un an, je passais mon bac, toutes les portes s'ouvraient à moi et je me demandais laquelle emprunter. Je ne peux pas dire que cette année de prépa m'ait apporté beaucoup de réponses. Au contraire, je crois qu'elle n'a fait que rendre les questions que je me posais plus pressantes : suis-je au bon endroit ? suis-je avec la bonne personne ? suis-je moi-même la personne que je voudrais être ? Je me doutais que tôt ou tard, on me demanderait de faire des choix, on me poserait de nouveaux ultimatums. Mais j'ignorais sous quelle forme ils se présenteraient.

Je suis allée à la fête de la musique avec des personnes d'hypokhâgne (Aurélien, de son côté, sortait avec des gens de médecine). Nous formions un groupe de cinq : il y avait mes trois meilleures amies et Paul.

Nous avons fait le tour des groupes de la ville et nous nous sommes finalement installés dans un petit bar, en face d'un groupe de jeunes gens qui jouaient de la musique irlandaise. Les autres filles sont allées danser : les cheveux blonds de Manon virevoltaient autour de sa tête, la longue jupe rouge d'Isabelle semblait flamboyer en tournant et les nombreux bijoux d'Anna tintinnabulaient en rythme. Paul et moi, plus timorés, les observions en riant, nos verres à la main. Puis, Manon est venue chercher Paul pour l’entrainer dans la danse et Anna, les joues rouges, s'est assise en face de moi. Nous avons regardé Manon et Paul danser ensemble. Isabelle tapait dans ses mains pour les encourager. Paul était maladroit, mais semblait prendre plaisir à l'exercice. C'est alors qu'Anna m'a demandé, assez fort pour couvrir la musique :

"Quand est-ce que tu vas quitter ton copain ?"

J'ai jeté un bref coup d’œil aux danseurs. Bien sûr, ils n'avaient rien entendu.

"Pourquoi est-ce que je quitterais mon copain ?"
"Parce que si tu ne le quittes pas, qu'est-ce que tu comptes faire de Paul ?"

Anna est mon amie mais elle est peut-être plus encore l'amie de Paul. Il est impossible de ne pas être l'ami de Paul, parce qu'il est drôle, amical, doux et attentionné. Il appelle la sympathie et la protection. Et Anna est typiquement le genre d'aventurière sans peur et sans reproche encline à le prendre sous son aile. Anna est tout ce que je ne suis pas et tout ce que j'aime chez les autres filles : elle est inscrite à plus de clubs et d'associations que je ne saurais en citer, elle collectionne les bocaux de bestioles dans du formol et elle organise régulièrement des murder party sur le thème d'Harry Potter. Au lycée, elle aurait surement été rangée sous l'étiquette "bizarre et inquiétante", en prépa, elle représente le summum du "cool".

"Paul, a-t-elle repris, il faut qu'il vive sa vie aussi. Il faut qu'il puisse aller à la fac s'il en a envie, et il faut qu'il puisse y rencontrer d'autres filles si toi, tu ne veux pas de lui. Il ne peut pas passer sa vie à t'attendre."
"C'est lui qui t'a demandé de me dire ça ?"
"Non, tu sais bien que ce n'est pas son genre, à Paul. Paul, il ne veut pas déranger, il ne veut brusquer personne, surtout pas toi. Mais moi, je te demande de prendre une décision, parce qu'il reste deux semaines de cours, que vous n'aurez sûrement plus beaucoup l'occasion de vous voir après et que ce serait terriblement dommage si vous passiez à côté de quelque chose."

Je ne me suis pas mouillée : comme l'année dernière, j'ai choisi la prépa, et j'ai choisi Aurélien. C'est ce que j'ai dit à Anna, que je n'étais pas prête à tirer un trait sur ce qui semblait le plus solide dans ma vie en ce moment. Elle a haussé les épaules, comme si, après tout, ça ne regardait que moi, mais son regard exprimait clairement son désaccord.

Paul est revenu s'assoir en face de moi, Anna est repartie danser, et la soirée s'est terminée ainsi. A minuit, nous nous sommes fait des accolades de bonne nuit et nous nous sommes dit à demain en cours. Mais la fin de cette soirée avait un goût d'adieux définitifs.

mardi 12 juin 2012

L'année scolaire touche à sa fin. Les pulls ont été lavés et mis au placard, les sandales ont revu la lumière du jour et il n'y a guère que la pluie qui, occasionnellement, nous incite encore à nous couvrir.

Nous avons eu les résultats de notre concours blanc. Objectivement, j'ai été mauvaise. Mais j'ai été relativement meilleure que la plupart de mes camarades. Nos professeurs ayant noté large, la moyenne se trouve être 7. Ainsi, mon 11 de moyenne me vaut l'admiration et le respect de ma classe. La prépa est vraiment un monde à part.

L'annonce de ces résultats a eu pour effet immédiat une démotivation massive. Nombre d'hypokhâgneux évoquent à présent la possibilité de s'inscrire à l'université. Paul, qui a eu 6 de moyenne à ses examens blancs, aimerait obtenir une équivalence pour entrer en deuxième année d'histoire de l'art, mais je le sens réticent à l'idée de me laisser derrière lui. En effet, je n'ai encore jamais laissé entendre que je pourrais quitter la prépa. Toutefois, son revirement me fait réfléchir.

Que je réussisse ou non le concours d'entrée à Normale Sup, je n'arrive pas à envisager quel avenir s'offrira à moi après ces deux ans. Je continuerai certainement le plus loin possible, pour éviter d'avoir à me poser des questions, mais arrivée au terme de dix ans d'étude, serai-je plus avancée ? Normalien et thésard, et a fortiori normalien thésard, ne sont pas des métiers. L'idée de rompre dès aujourd'hui avec l'objectif de faire une brillante carrière dans un domaine encore très indéterminé me séduit plus que je n'ose l'avouer.

Paul caresse le rêve de devenir antiquaire et nous fait remarquer en riant que peu de "petits commerçants de quartier" se sont donnés la peine de faire une khâgne. Est-ce que mes rêves à moi nécessitent de me donner la peine de faire une khâgne ? Ou est-ce qu'une licence suffirait à me donner un bagage universitaire et un peu de temps pour réfléchir à la suite ? Je n'ai pas de rêve de grandeur, j'aimerais seulement trouver ma voie, vivre ma vie et me faire oublier du reste du monde.

Ce soir, c'était carottes râpés et jambon blanc. J'ai ajouté mon avenir au menu.

"Je me dis que peut-être, l'année prochaine, je pourrais arrêter la prépa. Faire une licence de lettres classiques, peut-être, ça pourrait être intéressant. Plus proche de ce que moi, j'aime."

Aurélien a pris une grosse fourchetée de carottes, a mâché longuement et a répondu sans même lever les yeux de son assiette :

"Je pense que ce serait une erreur."

Et la discussion a été close.