jeudi 21 juillet 2011

Les beaux jours sont déjà terminés. Le long de la fenêtre dégoulinent de larges filets d'eau. Le paysage derrière, gris, flou, ressemble à une vieille photographie en noir et blanc. Les gouttes de pluie s'écrasent sur le sol en une succession rapide de plic et de ploc dont la petite musique mouillée, bien qu'étouffée par le double-vitrage, parvient à se faufiler jusque dans mon oreille. Tout cela serait très doux, s'il ne faisait pas aussi froid.

Dans la cuisine. Je suis emmitouflée dans une vieille couverture polaire blanche aux motifs beiges et je bois un chocolat chaud. La maison est déserte, mes parents travaillent. Début août, ils partiront deux semaines dans le milanais où ils ont des amis. J'ai préféré pour ma part décliner l'invitation. Je connais Milan et, surtout, je connais leurs amis : ce sont des gens bruyants et expansifs dont la compagnie m'irrite rapidement. Je crois que je serai très seule, cet été.

Je n'ai pas beaucoup d'ami. Parmi les gens qui m'entourent, on distingue quatre catégories de personnes. Celles qui pensent que je suis une jeune fille calme, docile, plutôt inintéressante. Celles qui pensent que je suis une grande malade mentale et qu'il vaut mieux ne pas m'approcher car cela pourrait se révéler contagieux (je ne peux pas vraiment leur donner tort : après dix-huit ans d'absorption passive des névroses de ma mère et de la mégalomanie de mon père, je vois bien ce que je suis devenue). Celles, peu nombreuses, qui parviennent à accepter et à surmonter la difficulté de mon caractère. Enfin, celles qui, tout en me connaissant, préfèrent s'illusionner et continuer à ne voir que la partie douce et terne de ma personne (c'est le cas de mes parents, de ma soeur, ou d'Aurélien).

J'aime bien être seule, et je redoute l'année prochaine. Sous prétexte d'économiser un loyer, les parents d'Aurélien et les miens projettent de nous louer un appartement ensemble. A mon avis, cela a surtout pour but de rendre notre séparation plus difficile et d'obtenir notre mariage à l'usure. Entendons-nous bien : nos parents n'ont absolument pas arrangé notre relation. Nous nous sommes choisis librement, soumis à la seule pression de trouver quelqu'un de bien. Mais notre relation plaît à nos parents, qui préfèrent nous voir l'un avec l'autre qu'avec des cancres ou des artistes.

Aurélien n'aime pas être seul. Mais à choisir, il préfèrerait rester chez ses parents où il a toutes ses petites habitudes. La cuisine y est bonne, sa chambre y est toujours propre et rangée sans qu'il ait à s'en soucier. Aurélien doute certainement de mes capacités de maîtresse de maison, et il a raison. Mes talents culinaires n'excèdent pas le stade des pâtes au gruyère déjà rapé et des oeufs au plat. Je n'ai pas envie d'apprendre et je suis bien persuadée que lui non plus, de sorte que nos menus risquent de ne pas être d'une grande variété. Quant à l'entretien des lieux, il faudra bien qu'il y prenne un peu part s'il ne veut pas vivre parmi la saleté et les ordures. Je fais le ménage, mais jamais plus que la part qui m'échoit.

Oui, nous nous sommes bien trouvés : nous sommes deux grands égoïstes.