samedi 30 juillet 2011

Enfin le week-end. Enfin du beau temps : le soleil brille pour la première fois depuis le début du mois. Il fait chaud, je peux enfin ranger mon gilet et ressortir mes sandales. Mes parents ont mis la table dehors.

Fidèle à ses engagements, Aurélien a abandonné un instant tarse, métatarse et supratarse pour nous faire l'honneur de sa présence. C'est peut-être une déduction hâtive, mais je le soupçonne d'être venu à cause d'Agathe, qui a décidé aujourd'hui de trimballer son fils jusque dans nos contrées hostiles. Non pas que Aurélien éprouve une attirance particulière pour Agathe (ou alors il l'a bien cachée), non pas que Aurélien éprouve une attirance particulière pour les nourrissons (il me semble que les bébés sont bien en ce moment le dernier de ses soucis). Mais il aime manger et il aime se montrer, et le grand repas préparé par ma mère en l'honneur de la fille prodigue, perdue puis retrouvée, lui donne l'occasion de satisfaire à ces deux aspirations.

J'ai honte de dire que le bébé d'Agathe ne se révèle pas d'un grand intérêt. Peut-être aurait-il été plus facile pour moi de m'y intéresser si j'avais pu l'approcher, mais Agathe n'a consenti à le lâcher que pour le coucher dans son ancienne chambre à l'étage, loin des bruits du repas. Alors qu'un poulet rôti et des pommes de terre sautées arrivaient sur la table, le babyphone nous a informé que le bébé avait soif. Agathe s'est levée, a disparu une demi-heure, et est revenue seule, l'air de rien, radieuse.

Oui, Agathe, malgré ses cernes, est ce qu'on appelle une mère radieuse. Ces mères mures, sûres d'elles, jeunes encore, qui sourient sans cesse pour dégager une impression de douceur et de sereine félicité. Agathe est une mère parfaite. Les femmes qui font des enfants avant 28 ans gâchent leur jeunesse, les femmes qui ne font pas d'enfant après 28 ans gâchent leurs ovocytes, les femmes qui font des enfants à 28 ans sont parfaites.

Un moment, la conversation a tourné autour de la mort subite du nourrisson. Aurélien a semblé contrarié du sujet, qui ne lui inspirait pas un grand nombre de blagues, mais en sa qualité de futur étudiant en médecine, il a tenu à rassurer la mère sur la faible probabilité de sa survenance. Cependant, je ne pense pas qu'Agathe avait un grand besoin d'être rassurée, persuadée qu'elle est que ce genre de choses n'arrive qu'aux autres, et qu'on ne peut pas mourir de façon aussi bizarre quand on s'appelle Lucas.

Si je pensais ma soeur adepte des manigances, je croirais volontiers que ce prénom sans la moindre personnalité a été choisi afin d'obliger le petit à s'en forger une forte. Mais ma soeur n'est pas comme ça. Je sais bien ce qui, en réalité, l'a déterminée à choisir ce prénom : la volonté de ne pas faire démodé (c'est ce qui l'a toujours dérangée avec nos propres prénoms : que n'aurait-elle pas donné pour s'appeler Céline !) sans tomber dans les dérives populaires des Brian, Killian et autres Jason. Agathe est une adepte du juste milieu : il ne faudrait pas qu'un prénom extravagant vienne quotidiennement semer le désordre dans son existence bien rangée.

Heureusement pour Aurélien, le bébé absent est rapidement oublié et il peut à nouveau capter l'entière attention de son public. Et c'est alors le concours de celui qui brillera le plus : du pétulant beau-fils avec sa gouaille étincelante ou de la radieuse jeune maman avec son blanc sourire. Heureusement pour nos ternes personnes, la charlotte aux fraises était bonne.