samedi 17 septembre 2011

Débarquement. Je déjeune d'un plat de pâtes au gruyère pré-râpé, en tee-shirt et culotte, quand on frappe à la porte. C'est Aurélien et mon beau-père, un clic-clac dans les bras. Après un moment de stupeur, je leur ouvre. Ils sont suivis de près par la mère d'Aurélien qui porte un énorme carton.

Je les attendais effectivement aujourd'hui. Mais pas tout à fait à ce moment précis. Et pas avec la moitié du grenier familial dans une camionnette Carrefour. Pendant que Belle-Maman fait le tour du propriétaire en émettant des petits "tss" de consternation polie, j'enfile un jean et des baskets qui traînent fort à propos dans le coin et je rejoins Beau-Papa et Aurélien qui sont déjà retournés à la camionnette.

J'y découvre une petite caverne d'Ali Baba. Sont entreposés en vrac dans l'espace réduit de vieux tapis aux couleurs délavées, des étagères Ikéa, un fauteuil Louis XV, une grande table ronde avec des tampons de feutrine usée aux quatre pieds, trois chaises fraîchement rempaillées, un bureau d'écolier, des lampes de chevet, une grosse télé à l'écran bombé, quelques plantes vertes, une malle à outils et des piles instables de cartons aux contenus mystérieux.

Étant entendu que je suis une faible femme, le père d'Aurélien me fourre un petit carton et une lampe dans les bras, tandis que son fils et lui-même s'attaquent au fauteuil Louis XV. Nous croisons Belle-Maman sur le chemin de l'appartement, qui émet quelques réserves quant à la possibilité de transporter un fauteuil si large dans des escaliers si étroits. Beau-Papa, de mauvaise humeur, grommelle quelques mots indistincts qui signifient sans doute : "Mêle-toi de tes cartons."

Mon appartement au style épuré prend rapidement l'aspect d'un souk méditerranéen. Le traverser relève à présent du parcours du combattant, et je peine à retrouver mon plat de pâtes dans cette forêt de cartons, de monstres respectables et de babioles incongrues. Mon beau-père pose les étagères, ma belle-mère s'affaire partout, rangeant une armada de serviettes et de gels douche dans les placards de la salle de bain, un bataillon de torchons et de casseroles dans ceux la cuisine, posant des poubelles en plastiques de genres divers dans toutes les pièces. Elle me demande, pour m'intéresser, où je veux mettre le tapis turquoise brodé d'oiseaux rose rhubarbe mais, garante du bon goût, décide finalement seule de le dérouler au milieu de la pièce principale. La grosse télé prend place sur ma table basse qui, à moitié recouverte par le poste, est soulagée de ne plus avoir à afficher sa pauvreté désolante au sein de ce déferlement exubérant. Mon matelas est relégué dans un coin du vestibule et le clic-clac trône maintenant au milieu de la chambre, revêtu d'une literie flambant neuve.

J'avoue perdre un peu pied, tandis que j'essaie de ne pas plonger ceux qu'il me reste dans mes pâtes au gruyère. Aurélien, assis sur un carton, mange un sandwich à la rosette en regardant son père aligner consciencieusement ses livres de médecine sur les étagères nouvellement posées. Je m'assois à côté de lui. Il me prend la main, m'embrasse la joue et me dit, entre deux bouchées de rosette :

"Il était temps que j'arrive, hein ?"