vendredi 9 mars 2012

J'ai 18 ans.

En France, l'enseignement secondaire est obligatoire jusqu'à 16 ans. Pour aller au bout de la logique, Aurélien et moi avons décidé de passer le bac. Nous avons alors fait ce que la situation nous imposait : nous avons vécu chez nos parents, nous sommes allés au lycée, nous nous sommes fait des amis. Nous avons réussi notre bac, puis nous avons eu le choix.

Nous aurions pu choisir cet entre-deux (le lycée et la vie professionnelle) qu'est la vie étudiante : vivre dans une chambre sur le campus, sortir avec nos camarades, nous investir dans des associations, suivre quelques cours en fac (à l'occasion), rentrer chez nos parents le week-end pour laver notre linge.

Mais non, nous avons choisi de devenir adultes tout de suite. Nous nous sommes mis en couple, nous avons loué un grand appartement, nous avons acheté une machine à laver, nous avons passé (naturellement, sans réfléchir) nos journées à travailler. Ne nous manquait plus que le chat. Et Seccotine est arrivée.

"Qu'est-ce qu'on mange, ce soir ?" me demande Aurélien, assis sur un fauteuil du salon à lire le Généraliste.
"Carottes et steak haché, ça te va ?"
"Ça va."
"On pourrait sortir après manger. Aller au cinéma."

Aurélien lève les yeux du journal et me regarde comme si je venais de dire une énormité.

"Pourquoi ?"
"Pour... sortir, quoi, se changer les idées..."
"T'as plus de livres ?"
"Si."
"Ben alors ? Tu sais bien qu'il faut que je révise pour mes colles de lundi..."

Je n'insiste pas. Je sors les carottes du frigo, je prends l'économe, je commence à éplucher mes carottes. On ne parle plus. Seuls le scritch scritch de l'économe contre les légumes et le fleuch des pages qu'on tourne parviennent à troubler le silence.

J'ai 18 ans.

"Tu as conscience qu'on vit comme des vieux ?"

Aurélien ne répond pas. La question l'ennuie, probablement. Ou peut-être ne m'a-t-il même pas entendue.