jeudi 12 juillet 2012

Première semaine de vacances. Le ciel est très bleu, il fait très beau, il fait très chaud. Si je n'étais pas aussi pragmatique, je croirais que la météo cherche à me narguer.

Je suis seule en effet, dans mon grand appartement, seule avec Seccotine, qui se roule toute la journée dans les plaques de soleil, qui semble parfaitement heureuse. Je ne veux pas sortir. Pas tout de suite. Les placards sont encore pleins, j'ai suffisamment à manger, je n'ai aucune raison de sortir. Je ne veux pas affronter le monde toute seule, et je ne veux pas voir les gens. Je me suis écrit ma petite tragédie personnelle et je respecte l'unité de lieu.

Les derniers jours de classe se sont passés sans heurt. Nous n'avons pas regardé de film comme lorsque nous étions au collège, mais certains profs se sont quand même donné le peine de rendre leurs derniers cours ludiques. Nous avons étudié des poèmes érotiques en latin, fait des quizz en histoire, des pendus en grec ancien. Enfin, élèves et profs se sont tous réunis pour faire un goûter d'adieux dans la cour. Nous avons en effet souhaité "bonne route" à un tiers de la classe, Paul compris.

Notre séparation a été douce. On s'est promis de s'écrire régulièrement, de se donner des nouvelles. On n'a pas prévu de se revoir, pas pour le moment, comme si la venue de l'été signait la fin de notre parenthèse. Il a passé sa main dans mes cheveux, et m'a embrassé sur la joue. Et chacun est parti de son côté.

C'est Aurélien, nouvellement étudiant en deuxième année de médecine, qui a jeté le premier pavé dans la mare. Un soir, alors qu'on dînait, il m'a dit, l'air de rien :

"Et l'année prochaine, qu'est-ce qu'on fait pour l'appartement ?"

La question m'a surprise. Je n'avais jamais envisagé de quitter l'appartement et je me demandais ce qu'Aurélien pouvait bien lui reprocher. J'ai soupçonné, un instant, qu'il avait deviné. J'aurais dû saisir la perche fabuleuse qu'il semblait me tendre et tout lui avouer. Me remettre tout de suite ne position de force. Mais je me suis contentée de lui demander :

"Pourquoi ?"

Il a eu l'air embarrassé, un air que je ne lui connaissais pas, lui qui paraissait sans cesse regarder tout le monde de haut.

"Écoute, Madeleine, j'ai rencontré une fille, en médecine. Ça fait plusieurs mois. Et je crois que toi et moi, on a fait le tour. Tu vois bien qu'on n'est plus vraiment sur la même longueur d'onde."

En toute logique, j'aurais dû tenter de cacher ma joie. En réalité, j'ai été incapable de dissimuler ma stupeur. Tout ce temps, j'avais pensé que le choix était entre mes mains ; à présent, j'étais au pied du mur. Quand j'ai recouvré l'usage de la parole, je me suis entendue répliquer :

"Eh bien, si tu l'aimes tant, ta nouvelle copine, va donc passer la nuit chez elle !"

L'ironie de cette remarque compte tenu de ma propre situation ne m'a pas frappée : j'étais furieuse, incapable de prendre de la distance. Aurélien m'a obéi et a quitté l'appartement sans protester.

"Et je garde le chat !" ai-je crié dans le couloir

Et j'ai fondu en larmes. J'avais le numéro de Paul, je ne l'ai pas utilisé. A partir du moment où Aurélien a évoqué cette fille, je suis devenue une victime : toutes mes fautes ont été lavées et l'objet de mon crime, oublié.