mercredi 24 août 2011

Nous sommes à quelques jours de la rentrée.

J'ai peur. Hypokhâgne me fait peur. On m'a dit que le niveau était extrêmement élevé, le corps enseignant sadique, la pression insurmontable. Mais ce qui m'effraie surtout, c'est l'après-prépa. Les concours : l'ENS, l'agreg, le CAPES... Et plus encore l'après-concours. Une vie d'enseignement en fac, en lycée ou en collège. Parce que j'ai un bac littéraire avec une mention très bien, mes parents ne cautionneront aucun autre parcours plus fantaisiste ou moins en adéquation avec mes capacités.

Quand j'étais petite, j'étais pleine de projets d'avenir aussi divers que fleuriste ou pâtissière, anthropologue ou biologiste. Mais la vie n'est pas qu'une question de choix. Tu es préprogrammé et des adultes responsables (parents, profs et conseillers d'orientation) décident du métier qui permettra l'épanouissement de ton programme génétique. Avec 20 de moyenne en maths sans travailler, tu feras polytechnique. Si tu tournes à 15 de moyenne générale, si tu es sérieux et réservé, tu seras prof. Des 8/20 à répétition alliés à un caractère sympathique et sociable te mèneront au métier de coiffeuse ou de mécanicien. Les génies, les bons élèves et les cancres forment l'élite, la classe moyenne et les manuels. La société prend soin de tout planifier selon l'offre et la demande pour que le monde tourne bien.

Nos passions, ce sont nos forces de rébellion. Quand nous disons "J'adore les dinosaures ou les échecs", cela signifie : "Non, je ne suis pas seulement ingénieur ou caissière, je suis aussi un être humain singulier." Quand tu n'es pas devenu ce que tu voulais être, faute aux autres, faute à pas de chance ou faute à toi-même, il te reste toujours tes lubies et tes hobbies. Comme quand tu as perdu quelqu'un que tu aimes et que tu le revois en rêve. Nos passions, ce sont les fantômes des personnes que nous ne sommes pas devenues.

Au fond, notre but, à tous, c'est de rendre nos vies intéressantes, de nous rendre intéressants aux yeux des autres. Pour cela, nous nous habillons de manière excentrique, nous voyageons, nous trouvons un métier valorisant ou nous faisons des enfants. Nous tentons de nous distinguer en personnalisant le schéma froid de ce que doivent être nos vies.

La semaine, j'enseignerai sans passion. Le week-end, je forcerai les autres à s'extasier à propos du goût de mes gâteaux ou de l'harmonie de mes plates-bandes. Est-ce cette vie-là que je veux ? A une semaine de la rentrée, ai-je encore le choix ? J'attends que quelque chose d'extraordinaire arrive, qui me fasse dire : "C'est bien Madeleine : là, tu es exactement où tu devrais être." Mais les jours s'écoulent et rien ne se passe.