vendredi 12 août 2011

Sortie de ma campagne, en route pour la grande ville. Avec Aurélien et ses parents. Il paraît que nous sommes terriblement en retard pour le choix de l'appartement. Pour être honnête, je n'en ai aucune idée. Je n'ai jamais loué un appartement auparavant.

Je ne connais pas beaucoup mes beaux-parents. Je vais bien moins souvent chez Aurélien qu'il ne va chez moi. La raison officielle est que cela évite à les parents de faire les trajets entre nos deux villages, mais je crois plutôt qu'il n'a pas très envie que je fouille dans ses affaires. Sa chambre est une tanière tapissée de bandes-dessinées et de jeux vidéos dans laquelle il ne me fait pénétrer qu'à regret. Si je pouvais dormir sur le canapé du salon, ça l'arrangerait. Ça arrangerait aussi ses parents, d'ailleurs, dont les regards soupçonneux au petit-déjeuner guettent tout sourire suspect à la question "Vous avez bien dormi ?" Mais faute de preuves tangibles, comme je ne hurle pas et qu'Aurélien ne fait pas trop grincer le lit, notre relation reste cordiale, sans pour autant être amicale.

C'est pour cela que j'étais assez réticente à l'idée de passer toute une journée avec eux. J'aurais préféré qu'on ne me consulte pas, pour l'appartement. Qu'on me fasse la surprise, à la rigueur. Mais j'ai reçu des instructions très précises de mes propres parents qui, bien qu'ils soient présentement en Italie, ne voulaient pas être complètement en reste.

"Exige du double-vitrage, demande l'âge des canalisations, chauffé électrique, hein, pas au gaz, c'est une ruine, vérifie les prises télé et téléphone, fais attention aux éventuelles moisissures, faudrait pas que ce soit humide, regarde s'il y a un emplacement pour une machine à laver, à plus de 10 € le mètre carré, c'est du vol, il vous en faut au minimum 50..."

Ce sont les parents d'Aurélien qui ont sélectionné les appartements sur différents journaux et pris les rendez-vous. Il prétendent qu'Aurélien a un peu participé, mais j'en doute. Il a l'air aussi perdu que moi en entrant dans les différents logements. Tous se ressemblent, tous situés dans des résidences au nom fleuri (Les Aubépines, Les Lys, Les Amaryllis...), ils comportent tous une grande salle principale et une chambre grandes et froides, une cuisine et une salle de bain avec des carreaux verts ou bleus au mur. Je ne sais pas combien de mètres carré il font, ils me semblent juste immenses : je me demande ce qu'on pourra bien faire de tant d'espace. Mes beaux-parents discutent avec les propriétaires successifs, mais je n'arrive pas à me concentrer sur leur conversation. Je me tais. Ils s'assureront certainement de la fraîcheur des canalisations et des prises télé. Moi, ce n'est pas mon domaine : je sais à peine à quoi cela correspond.

Au bout de sept visites, le couperet tombe : "Alors ?"

Je regarde Aurélien, Aurélien me regarde, et nous savons tous deux que nous n'en savons rien. Aurélien hausse les épaules et je me résous à tenter un numéro au hasard : "Le deuxième n'était pas mal, non ?"

Non, le deuxième n'était pas pas mal. La mère d'Aurélien sort ses notes et me fait la liste de tous les défauts de cet appartement que j'ai déjà oublié. Mal exposé, à l'est, peu de lumière le matin, aucune l'après-midi, un isolement rudimentaire, une chaudière qui a plus de dix ans, au sixième, difficile d'accès, il faut penser au déménagement, et la moquette dans le salon, ce n'est pas pratique. Sans compter que la vue sur la rue, même si elle n'est pas très passante, ce n'est pas très joli. La vue du quatrième, sur la courette et son jardinet, elle était pas mal, elle.

Va pour le quatrième. Je ne me souviens absolument plus à quoi il ressemble, mais la vue sur la courette, c'est sûr, ça doit faire rêver. L'appartement faisant l'unanimité, le père d'Aurélien rappelle le propriétaire. Une chance, il est encore dans le coin, nous pouvons signer le contrat tout de suite !

Retour au quatrième appartement. Avec Aurélien, nous découvrons ce qui sera notre chez-nous pour les dix prochaines années si tout se passe bien. Il est situé au deuxième étage, nous avons même un ascenseur. La chambre et le salon sont immenses et froids, avec du carrelage beige au sol et des murs d'un blanc immaculé. La cuisine et la salle de bain étincellent quand on allume la lumière, les robinets envoient des reflets métalliques sur les carreaux blancs et bleus des murs. Il y a effectivement une vue imprenable sur la courette de la résidence et sur le ciel gris de la grande ville. Rien de plus à dire, car rien de plus ici. Il faudra tout meubler : j'ai du mal à imaginer comment, j'ai du mal à m'imaginer dans cet appartement.

Les parents d'Aurélien serrent avec satisfaction la main du propriétaire et lui assurent une nouvelle fois que nous sommes deux jeunes gens sans problème, calmes et polis, qu'il n'aura aucun souci avec nous. En quittant le lieu, il s'exclament que c'est une bonne chose de faite, qu'il n'y aura pas à revenir, à part pour le déménagement, mais ça ne presse pas. "Et puis tes parents pourront s'en occuper un peu aussi, hein, Madeleine ?"

Dans la voiture qui nous ramène dans nos villages respectifs, Aurélien me prend la main. C'est vrai que nous n'avons jamais été très proches, très amoureux. Mais qu'on le veuille ou non, notre vie va changer, maintenant.